Sur l’échiquier de la vie, le conteur joue la mélodie du bonheur
Au sol un damier géant avec des chaises autour, Auguste s’avance au rythme de ses souvenirs et de son quotidien à la maison de retraite. Il s’est installé là depuis la disparition de sa femme Blanche toujours présente à son esprit, comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. Le comédien Pascal Thétard interprète avec justesse ce vieux conteur qui semble-t-il a perdu les mots et pense tout haut. L’homme captive son auditoire par sa fougue, ses mimiques et son comportement farfelu. Un temps, le voilà à la fenêtre rêveur, il observe le monde. La réalité féroce et violente de ce nouveau foyer le rattrape mais l’existence est devenue pour lui un jeu d’enfant, un moment d’évasion à partager !
Plein d’énergie et jamais à court d’idées, le clown poète fait vibrer l’instant présent et entraîne derrière lui une kyrielle de personnages : sa famille, les enfants et l’institutrice venus égayer cette « maison de vieux » au personnel acariâtre, Martha et ses comparses atteints de la maladie d’Alzheimer qui tentent de prendre la clé des champs. Avec tendresse et émotions, le protagoniste livre quelques fragments de sa mémoire aux spectateurs qui deviennent partie intégrante de son histoire. Brisant le quatrième mur, le visage d’Auguste s’illumine en retrouvant Martha, en partageant ses photographies ou de douces mélodies. Différentes temporalités se mêlent subtilement dans cette joyeuse farandole où chacun plonge assurément dans son imaginaire et se remémore son passé. Ce monologue drôle et poétique écrit par Pierre Soletti est une ode à la vie bouleversante.
« Auguste est debout devant sa fenêtre. Il regarde dehors un nuage arriver sur lui. Il se prend les pieds dans les branches. Il chute. Il est si jeune pour mourir. Si vieux. Va.
Il ferme les yeux un instant. Rembobine la bande fragile de ses souvenirs. Appuie sur stop. Fait play. C’est là. Ils sont tous là… Le temps semble s’être arrêté en cet endroit, abandonnant pour l’heure ses affaires courantes. On dirait un film de Charlie Chaplin où les vieux tombent au ralenti. »
Créé par le Collectif Ma-Théâ et le Centre de Créations pour l’Enfance en mars 2017, « Auguste ne sait pas grand-chose du monde » parle de la vieillesse et de ses maux avec réalisme, sans tomber dans le pathos. La proposition soutient le texte de Pierre Soletti d’une poésie remarquable. À travers d’étonnantes péripéties, l’individu fait un pied de nez à l’oubli, à la maladie et à la dépendance. Les failles de sa mémoire ouvrent de nouvelles perspectives et l’on apprend qu’« Alzheimer guérit de tout, même de la vieillesse !». La mise en scène de Mateja Bizjak Petit accorde une place prépondérante aux mouvements, à l’ici et maintenant, au voyage intérieur de l’être, à ses élans de nostalgie et de bonheurs simples. Le jeu brillant de Pascal Thétard use d’authenticité et de fragilité, il casse les codes et le rythme à l’envi et ne cesse de nous émouvoir. La nature immuable apaise l’homme, il embrasse la vie avec délectation porté par la musique de Patrice Soletti. Dans ce dispositif frontal épuré (ou quadri-frontal autre forme possible), le public tout prêt se sent forcément impliqué au récit quelque soit son âge. L’espace se redessine constamment au gré des situations loufoques ou dramatiques. Ce spectacle teinté d’humour met du baume au coeur et des images plein la tête.